Histoire des Croix de la forêt de Fontainebleau

 
La tradition d’ériger des croix en forêt de Fontainebleau existe depuis fort longtemps. Du Moyen Âge au siècle des Lumières, elles étaient nombreuses à marquer les carrefours de la forêt. Dans l'imaginaire des hommes et des femmes des siècles passés, le croisement est un lieu dangereux, on risque de s'y perdre en prenant le mauvais chemin, celui qui mène vers les profondeurs de la forêt et non vers le village, car plus on pénétre dans les bois inconnus, plus on se rapproche des puissances maléfiques. Une fois engagé dans la fausse direction, tout peut arriver, surtout le pire. Ainsi, les croix servaient de repères et symboliquement, elles apportaient une protection. En 1095, le pape Urbain II décide d'étendre le droit d'asile, jusque-là réservé aux églises, aux calvaires et aux croix des routes et des chemins, quiconque se réfugie près d'eux échappe à ses ennemis qui risquent l'excommunication. 
 
Belle Croix, forêt de Fontainebleau
La Belle Croix est la plus ancienne croix de la forêt, la première fut érigée vers 1304.

Autrefois, les croix de la forêt servaient à désigner une « garde », c’est-à-dire une zone précise de la forêt. Elles étaient le lieu-dit de « quêtes et de relais », pour les équipages des chasses du roi. Le cortège s’y formait puis s’y retrouvait, parfois plusieurs fois par jour. Il était habituel de chasser successivement plusieurs animaux, ce qui nécessitait de changer de monture et de mettre à la meute des chiens plus frais. L’ordonnance royale de 1669, « Sur le fait des Eaux et Forêts », à l’initiative de Colbert et rédigée par Paul Barillon d’Amoncourt, édicte qu’une croix, un poteau ou une pyramide de pierre devait s’élever à chaque carrefour avec indication des lieux où conduisait ces chemins. 
 
Conférence de l'ordonnance de Louis XIV du mois d'août 1669, sur le fait des eaux et forêts.
Conférence de l'ordonnance de Louis XIV du mois d'août 1669, sur le fait des eaux et forêts.
 
Chaque croix donnait son nom à une Garde, elle-même divisée en « triage », du verbe trier, qui signifie dans la terminologie de l’administration des Eaux et Forêts, choisir un endroit plutôt qu’un autre pour faire une coupe de bois. Sous la monarchie de Juillet, de 1830 à 1848, le nombre de triages de la forêt de Fontainebleau s’élevait à 175. Dans son Dictionnaire historique et artistique de la forêt de Fontainebleau, publié en 1903, Félix Herbet dénombre plus de quarante anciennes croix, en comptant celles qui existent encore. Ces croix ont progressivement disparu au XVIIIe siècle. Dans son livre, Description historique des château bourg et forest de Fontainebleau, publié en 1731, l’abbé Guilbert dénombre treize croix. Aujourd'hui, il en reste douze, en comptant la Pyramide de la Croix de Toulouse et l’Obélisque qui remplaça, en 1785, l'ancienne Croix Saint-Jacques. 
 
plan de Fontainebleau par Nicolas de Fer, 1697.
Détail du plan de Fontainebleau par Nicolas de Fer, dressé en 1697. On y voit la Croix Saint-Jacques remplacée par l'Obélisque et la Croix Lanterne, tombée de vétusté en 1728.
 
Lors de la campagne iconoclaste de la Révolution, toutes les croix de la forêt de Fontainebleau « signes de fanatisme et d’esclavage » sont détruites par une décision officielle de la municipalité en date du 9 brumaire an II , (30 octobre 1793). La Société populaire de Fontainebleau, club jacobin fondé le 5 mai 1791, s'efforce de « fouler aux pieds tous les anciens préjugés qui tiennent de loin ou de près au despotisme théologique. » Sous le Premier Empire, on se préoccupe de rétablir ces croix « pour le Service des chasses et la décoration des forêts impériales », un projet est présenté à Napoléon en 1809, mais les travaux ne sont pas exécutés. En 1826, sous la Restauration et le règne de Charles X, le baron Édouard Mounier, intendant général des bâtiments de la Couronne, donne des instructions pour rétablir les croix. L’architecte du palais de Fontainebleau, Jean-Baptiste Lepère, est chargé du projet et de son financement. 
 
Jean-Baptiste Lepère, architecte
Portrait de Jean-Baptiste Lepère (1761-1844), par Ingres.

Les croix de la forêt étaient situées au centre des carrefours. Pendant les Années folles, l’essor de la circulation automobile engendra de nombreux accidents, aggravés par la présence des croix au milieu de la route. C’est ainsi que disparaît la Croix de Montmorin, renversée par un camion en 1919. En 1925, le conseil d'arrondissement de Fontainebleau envisage la suppression de toutes les croix de la forêt au prétexte qu'elles dérangent la circulation automobile. Beaucoup s'émeuvent de ce projet et s'y opposent en publiant des tribunes dans la presse locale. On envisage l'éclairage des ronds-points où sont situés les croix, mais le projet est jugé trop coûteux. Eugène Plouchart, de la société historique et archéologique du Gâtinais, propose que la circulation automobile en forêt soit limitée à 12 kilomètres-heure.
 
Croix Montmorin, forêt de Fontainebleau.
La Croix de Montmorin avant qu'elle ne soit brisée en 1919. 
 
Croix Montmorin, forêt de Fontainebleau.

La Croix de Montmorin après l'accident de 1919. Elle n'existe plus aujourd'hui.

Finalement, le Conseil Général du département de Seine-et-Marne s'oppose au projet de suppression des croix. La raison invoquée est la sécurité du piéton, les croix et leurs terre-pleins forment au milieu des carrefours, de véritables refuges qui constituent un abri contre les automobilistes conduisant à grande vitesse et surnommés les « avaleurs de lieues ». Néanmoins il est proposé de transporter les croix sur le bas côté pour éviter leur détérioration, on juge la vitesse des conducteurs « comme un mal endémique et incurable ». Lors de la création des rond-points, au début des années 2000, certaines croix furent replacées sur le terre-plein central.
 
Les Croix de la forêt de Fontainebleau
 
Carte des Croix de la forêt de Fontainebleau