et de la route Ronde D301.
Cette croix portait déjà le nom de Grand-Veneur sur la plus ancienne carte de la forêt, dressée par Hugues Picart en 1624. Elle aurait disparu autour de 1640 et fut rétablie en 1670 par François VII, duc de La Rochefoucauld, pair de France, prince de Marsillac, baron de Verteuil, grand-maître de la garde robe du roi, gouverneur du Berry, grand veneur de France, chevalier des ordres du Roi.
François VII duc de La Rochefoucauld, portrait anonyme daté de 1683.
François VII est né le 15 juin 1634 à Paris, il est le fils aîné de François VI de La Rochefoucauld, célèbre écrivain et gouverneur du Poitou, et de son épouse Andrée de Vivonne. François VII est nommé Grand-Veneur par Louis XIV en 1679, fonction qu'il garde jusqu’à la fin de sa vie malgré le fait qu'il soit devenu aveugle. Il meurt à Versailles dans sa maison du Chenil, le 11 janvier 1714, à l'âge de 80 ans. La maison de La Rochefoucauld est une ancienne famille de la noblesse, dont l'origine remonte aux seigneurs de la Roche en Charente, mentionnés dès le Xe siècle. Une tradition familiale, instaurée par le baron François de La Rochefoucauld, parrain en 1494 du futur roi François Ier, veut que tous les fils aînés se prénomment François.
Le château de La Rochefoucauld en Charente et la rivière Tardoire.
François VII de La Rochefoucauld fait une brillante carrière militaire. Affecté au corps d'armée du vicomte de Turenne, il participe au siège de la ville de Landrecies en 1655, tenue par les Espagnols. C'est une victoire pour Louis XIV qui vient en personne passer ses troupes en revue après la prise de la ville, la province de l'Artois devient alors Française. L'année suivante, en août 1656, il est blessé lors du siège de Valenciennes, défaite cinglante infligé à Turenne par le prince de Condé, cousin du roi passé au service de l'Espagne. Mestre de camp d'un régiment de cavalerie, La Rochefoucauld participe avec le roi à la conquête de la Flandre en 1667 et de la Franche-Comté en 1668, lors de la guerre de Dévolution. Il se signale au passage du Rhin en 1672, où il reçoit un coup de mousquet qui lui fracasse l'épaule gauche. Rétabli de sa blessure, il participe aux siège de Maastricht (1673), de Besançon (1674), de Limbourg (1675) de nouveau au siège de Valenciennes (1677) et aux batailles de Cambray, Ypres et Namur.
Le passage du Rhin par l'armée française, le 12 juin 1672 par Adam Frans van der Meulen.
François VII épouse le 13 novembre 1659 au château de Liancourt, Jeanne-Charlotte du Plessis-Liancourt, riche héritière âgée de 13 ans. Elle meurt le 30 septembre 1669, à l'âge de 23 ans. Elle été très apprécié par son beau-père, le célèbre mémorialiste, qui écrit dans une lettre à madame de Sablé : « Ma belle fille est la plus aimable petite créature qui se puisse voir ». Très affecté par la mort de femme, François VII ne se remariera jamais. Le couple eut trois enfants, François VIII, quatrième duc de La Rochefoucauld, Henri-Roger, marquis de Liancourt et Charlotte-François-Gabrielle, morte à l'âge de 15 ans.
L'ancien château de la Rochefoucauld à Liancourt.
Louis XIV detestait le père de François VII, il lui reprochait d'avoir pris le partie de la Fronde. Malgré la brouille entre son père et le roi, François VII est un proche du souverain, son statut de favori provoque jalousie et quolibets à son égard. Le roi le nomme gouverneur du Berry en 1671 à la place du duc de Lauzun, après la disgrace de ce dernier. Jusqu'à la mort de son père en 1680, François VII est connu à la cour sous le nom de prince de Marcillac, titre porté par les fils aînés de la maison de La Rochefoucauld. En 1686, il achete, sous un prête-nom, le grand château de la Celle Saint-Cloud.
Le château de La Celle par Étienne Allegrain, 1675.
Saint-Simon dresse dans ses mémoires un portrait à charge de François VII qu'il n'aimat guère : « Un homme entre deux tailles, maigre avec de gros os, un air niais quoique rude, des manières embarrassées, une chevelure de filasse... M. de La Rochefoucauld était borné d'une part, ignorant de l'autre à surprendre, glorieux, dur, rude, farouche et ayant passé toute sa vie à la cour, embarrassé avec tout ce qui n'était pas subalterne ou de son habitude de tous les jours. Il était rogue, en aîné des La Rochefoucauld qui le sont tous par nature et par conséquent très repoussants. »
La Croix du Grand-Veneur, vers 1900.
Le célèbre mémorialisre raconte comment le jeune François VII attira l'amitié de Louis XIV en étant un témoin privilégié des amours royaux : « M. de Marcillac, que je nommerai désormais duc de La Rochefoucauld, était le seul confident des amours du roi, et le seul qui, le manteau sur le nez comme lui, le suivait à distance lorsqu'il allait à ses premiers rendez-vous. Il fut ainsi dans l'intimité de Mme de La Vallières, de Mme de Montespan, de Mme de Fontanges, de tous leurs particiliers avec le roi, et de tout ce qui se passait dans le secret de cet intérieur. »
La Croix du Grand-Veneur aujourd'hui.
Le 11 octobre 1690, le château de Fontainebleau reçoit la visite du roi d’Angleterre Jacques II et son épouse la reine Marie de Modène, tous deux chassés de leur pays par la Glorieuse Révolution et réfugiés en France. Le 18 octobre, Louis XIV raccompagne jusqu'à Chailly ses invités anglais. Le cortège emprunte la route où se situe la Croix du Grand-Veneur. Cette route, qui traverse la forêt entre les belles futaies du Gros Fouteau et de la Tillaie, vient d'être élargie et pavée. Le couple de monarques anglais reviennent à Fontainebleau à plusieurs reprises.
Le 8 juillet 1773, Jean-Baptiste François de Montmorin, marquis de Saint-Hérem (voir la Croix de Saint-Hérem), se rend à Fontainebleau dont il est le gouverneur pour recevoir au palais la distinction de chevalier de l'ordre de Saint-Michel. Afin de l’accueillir dignement, huit cents hommes de troupe, accompagnés d’une nombreuse foule, quittent Fontainebleau pour rejoindre le carrefour de la Croix du Grand-Veneur. Les fifres et les tambours, les timbaliers et les trompettes font entendre leurs musiques jusqu’au fond des anciennes futaies du Gros Fouteau et de la Tillaie qui bordent le pavé de Chailly. La troupe est composée de grenadiers à l’uniforme bleu paré de jaune, de plusieurs compagnies de volontaires à l’uniforme rouge paré de blanc, d’une compagnie de cavalerie et de dragons avec tout l’attirail militaire, les armes brillent, les chevaux sont fringants, la satisfaction rayonne sur les visages.
La Croix du Grand-Veneur, vers 1900.
Vers sept heures du soir, le marquis de Saint-Hérem arrive enfin à la Croix du Grand-Veneur, accompagné de son fils et de son escorte. Un courrier s’élance aussitôt vers Fontainebleau pour annoncer l’arrivée du grand homme qui vient recevoir l’honneur du ruban bleu. On descend la côte vers l’entrée de la ville, arrivé à la barrière de Paris, le marquis reçoit son premier compliment et monte dans un carrosse brillant sous les vivats et les applaudissements des nombreux spectateurs venus l’attendre. En ville, toutes le boutiques sont fermées, les maisons désertes, les habitants sont dehors et se pressent de l’entrée de Fontainebleau jusqu’à la place d’Armes qui suffit à peine pour contenir une foule de curieux. Le marquis se rend en sa demeure, l’hôtel du Gouvernement, situé rue de Nemours, aujourd’hui boulevard Magenta et qui vient d’être reconstruit. L’hôtel est tout illuminé, on a dressé de nombreuses tables, la marquise fait distribuer à la foule et aux soldats du pain et de la viande, des tonneaux de vin sont percés. Enfin, un feu d’artifice est tiré et on danse jusqu’au matin.
La Croix du Grand-Veneur, vers 1900.
Le 20 novembre 1803, Napoléon Bonaparte, arrivant de Boulogne se rendit à Fontainebleau. La ville avait alors pour maire M. Dubois d'Arneuville et l'inspecteur de la forêt était M. de Boisdhyver. Ces messieurs, à la tête de nombreux habitants, allèrent à la rencontre du Premier consul. Le vainqueur d'Arcole, des Pyramides, de Marengo, le restaurateur de la paix en France, inspirait une vive curiosité. La rencontre eut lieu au sommet de la Montagne de Paris, en face de la route qui conduisait au bel arbre appelé le « Bouquet du Roi », au carrefour de la Croix du Grand-Veneur, alors modeste croix en bois. Napoléon était accompagné de sa sœur Pauline et de son mari le prince Borghèse, des généraux Murat et Brune et de l’ambassadeur du sultan de l’Empire ottoman. Napoléon mit pied à terre et entra dans la forêt. À l’aspect majestueux des futaies de la Tillaie et du Gros Fouteau, il s’écria dans sa langue natale : « Eccoci giunti alla selva fata del Tasso ! » — « Nous sommes dans la forêt enchantée du Tasse ! ». Napoléon faisait référence au célèbre poète italien Torquato Tasso et à son poème intitulé La Forêt enchantée, treizième chant de son poème épique La Jérusalem délivrée, publié en 1581. Ayant repris la route, l’équipage arriva au château, à sa vue Napoléon s’étonna de l’état du palais, mais confiant il déclara : « C’est une ruine dont on pourra faire quelque chose ».
Le Bouquet du Roi du temps de Napoléon est mort vers 1870.
Un second chêne de La Tillaie fut alors nommé du même nom,
il succomba à son tour sous le poid des années, son chablis est toujours visible.
Le 19 mars 1815, Fontainebleau attend Napoléon qui revient de son exil forcé à l'île d'Elbe. On ne sait pas encore si l'empereur va venir dans son palais ou rejoindre Paris au plus vite. D'anciens militaires portant l'uniforme et un bouquet de violettes, symbole des fidèles à l'empereur durant la Première Restauration, parcourent les cours et appartements du château, allumant de nombreuses lanternes et déployant le drapeau tricolore sur le pavillon central. Le temps est doux, le ciel semé d'étoiles et la lune presque dans son plein, une foule se presse au palais. Napoléon arrive le 20 mars, entre trois et quatre heures du matin, accompagné d'environ quatre cents hommes. Dans sa voiture, se trouve les fidèles généraux Bertrand et Labédoyère. On se restaure et on se repose puis, à onze heures du matin, apprenant que la famille royale a quitté Paris, Napoléon rassemble ses troupes dans la cour où il fit ses adieux moins d'un an auparavant. On se prépare au départ et la cohorte se met en marche prenant la route de Paris. Une multitude d'admirateurs et de curieux accompagnent le convoi jusque dans la forêt au carrefour de la Croix du Grand-Veneur. Là, Napoléon s'arrête, remercie la foule et l'engage à rentrer en ville. Alors la population, de concert avec les soldats, fait entendre encore une fois le cri de « Vive l'empereur ! ». C'est ainsi que Napoléon quitta Fontainebleau qu'il ne devait plus jamais revoir.
Napoléon à Fontainebleau par Georges Cain.
Dans son livre intitulé Mémoires d’une forêt, publié en 1875, Jules Levallois situe au carrefour de la Croix du Grand-Veneur, l’apparition du spectre du Chasseur noir de la forêt de Fontainebleau. La légende de cette chasse infernale, menée par un cavalier fantastique, entouré d’une meute de chiens fantômes dont les cris glaçaient d’épouvante, connue un grand succés et traversa les siècles. La première apparition eu lieu le 8 septembre 1598, vers dix heures du soir, lorsque le roi Henri IV revenait de la chasse. Le premier à en parler fut le diplomate Jacques Bompars dans une lettre en date du 25 octobre 1598 et intitulée « Des monstres et des spectres ».
La Grotte du Chasseur Noir et l'hommage à Denecourt,
situé sur le sentier de la Gorge du Houx.
Pierre Victor Palma Cayet était un théologien protestant qui abjura pour devenir prêtre catholique, il fut suspecté de magie car il cherchait à résoudre le mystère de la pierre philosphale. En 1606, il publia sa Chronologie septenaire dans laquelle il donne des détails intéressants à l'histoire du chasseur fantôme de la forêt de Fontainebleau : « De tout temps les charbonniers, buscherons et paysans d'autour la forest de Fontainebleau disent que quelquesfois ils voyent un grand homme noir, avec une meute de chiens, chasser par la forest, lequel ne leur faict pourtant aucun mal, et l'appellent le Grand Veneur ; et ceux à qui ils contoient cela le prenoient pour fable : mais il advint qu'au printemps de ceste année, Sa Majesté estant à Fontainebleau, se donnant du plaisir à la chasse, accompagné de plusieurs seigneurs, estant au plus espais de la forest, ils entendent corner des chasseurs et abboyer des chiens, comme de bien fort loing, puis à l'instant tout auprès d'eux. Quelques seigneurs près du roy s'advancent à ce brui et pour voir ce que c'estoi ; ils n'eurent pas faict vingt pas qu'ils advisent un grand homme noir parmy des halliers, lequel leur fit une telle peur, que ce fut à qui fuyroit le mieux. Cest homme noir leur parla d'une parole si espouvantable, qu'ils n'eurent l'asseurance ny le loisir de bien discerner ce qu'il leur dit ; les uns rapportent qu'il dit : M'attendez vous, les autres : m'entendez vous ? et d'autres : amendez vous ».
Le Grand-Veneur ou chasseur noir de la forêt de Fontainebleau.
De 1748 à 1836, Fontainebleau voyait régulièrement arriver la « chaîne » des forçats allant de Bicêtre à Toulon où était le bagne. Le passage lugubre des condamnés et de leurs gardes-chiourmes attirait de nombreux curieux. Ils arrivaient par la route de Paris, passaient le carrefour de la Croix du Grand-Veneur puis empruntaient la descente qui mène à La Fourche où se situe l'entrée de la ville. Là, ils étaient conduits dans une remise de l'auberge de la Tour d'Argent. Cette grande propriété, qui comportait une écurie pour soixante chevaux, se tenait rue de Nemours, aujourd'hui boulevard Magenta. Les chaînes des bagnards étaient cadenassées aux nombreux anneaux qui servaient aux marchands de bœufs ayant l'habitude de faire halte dans cette auberge. Les hommes et les animaux étaient ainsi traités de la même manière. Après une nuit de repos, la « chaîne » reprenait sa longue route vers le sud, elle passait par l'Obélisque et prenait la route de Moret pour rejoindre la grande route de Bourgogne.
Le départ de la chaîne des forçats à la prison de Bicêtre, vers 1830 par Gabriel Cloquemin.
La charge de grand veneur, organisateur des chasses royales, est très ancienne. Sous le règne de Saint Louis, la charge appartient à un certain Geofroi dit « le veneur du roi ». Autrefois, le titre de grand veneur se confondait avec celui de Grand Maître des Eaux et Forêts. C’est Charles VI qui sépare les deux charges vers 1413. Sous le règne d’Henri IV, la vènerie comporte plus de cent-quatre-vingt personnes : lieutenants, sous-lieutenants, gentilshommes, piqueurs, écuyers, valets de chiens à cheval ou ordinaires, médecins, apothicaires... Le dernier grand veneur est nommé en 1865, c’est le général Edgar Ney, aide de camp de Napoléon III, il suivra l’empereur en captivité. La Troisième République abandonne les chasses à courre de l’État et la vènerie devient alors une pratique privée.
Portrait d'Edgar Ney en tenue de vénerie par Gustave Le Gray.
La Croix du Grand-Veneur fut détruite à la Révolution, elle a été réédifiée en bois, puis en grès en 1846 pour la somme de 2000 francs. Renversée en 1919 par une automobile, elle est rétablie la même année puis de nouveau renversée en 1926. La croix est réédifiée sur le bas-côté puis le Conseil Général du département décide de la rétablir au centre du carrefour.
La Croix du Grand-Veneur avant qu'elle ne soit rétablie au centre du carrefour.