Dans la Galerie des Cerfs du Château de Fontainebleau, se trouve plusieurs bronze fondu par l'artiste italien Francesco Primaticcio, dit le Primatice. Parmi ces sculptures, le celèbre groupe du Laocoon, copie d'un marbre antique conservé au Vatican, musée Pio-Clementino.
Laocoon et ses fils.
Laocoon était un prêtre chargé du culte de Poséidon dans la ville de Troie. Il irrita le dieu des mers en se mariant et en cachant son épouse dans l'enceinte du temple malgré le vœu de célibat qu'il avait fait. De cette union naquirent deux garçons, Éthron et Mélanthos. Pendant la Guerre de Troie, les Grecs, lassés de ce siège interminable, imagine une ruse. Ils construisent un énorme cheval de bois, dans lequel ils cachent des guerriers, parmi lesquelles se trouvent Ulysse. Puis les Grecs brûlent leur camp et embarquent sur leurs navires dissimulant leur flotte derrière l'île de Ténédos. Pour les Troyens, ce cheval de bois est une offrande au dieu Poséidon, les Grecs souhaitant que le dieu des mers leur offre un retour paisible dans leur pays.
Le cheval de Troie par Giovanni Domenico Tiepolo, c. 1760, The National Gallery, Londres.
En présence de cet énorme cheval en bois, les Troyens sont pourtant perplexes, les avis divergent sur le sort qu'on doit lui réserver. Les uns veulent le faire entrer dans la ville comme un trophée, les autres, prônent la méfiance. Survient alors le prêtre Laocoon qui exhorte ses compatriotes à se débarrasser du cheval, prononçant d'après Virgile dans l'Énéide cette formule célèbre : « Timeo Danaos et dona ferentes. » (« Je crains les Grecs, même lorsqu'ils font des cadeaux »). L'Énéide (II, 212-224).
Laocoon dans le Vergilius Vaticanus, manuscrit enluminé contenant des fragments de l'Énéide et des Géorgiques de Virgile, daté des environs du début du Ve siècle ap J.-C.
Laocoon lance un javelot sur un flanc du cheval, qui sonne creux, mais nul ne le remarque. On amène alors un esclave grec nommé Sinon, qui prétend avoir été abandonné là en sacrifice, tout comme le cheval. Sinon présente le cheval comme une offrande destinée à Athéna, et affirme que sa présence dans les murs de Troie serait un gage de victoire. Laocoon continue de aranguer les Troyens essayant de les persuader de brûler ce cheval sur la plage où il se trouve, pour cela il décide de sacrifier un taureau à Poséidon.
Sinon amené au roi Priam, Vergilius Vaticanus,
début du Ve siècle ap J.-C. Bibliothèque du Vatican.
La divinité1, qui n'avait pas oublié la trahison de Laocoon, fait alors surgir de la mer deux monstrueux serpents2 qui se précipitent sur les fils du prêtre les tuants par étouffement, puis s'attaquent à Laocoon lui-même, qui tentait en vain de les arrêter. Les serpents se réfugient ensuite dans un temple d'Athéna, se lovant au pied de sa statue colossale. Les Troyens, ignorant la véritable raison de la colère du dieu des mers, crurent que Poséidon et Athéna voulaient leur faire comprendre de laisser entrer le cheval dans la ville, ce qui provoqua la chute de Troie.
Laoccon est ses fils attaqués par les serpents,
anonyme du XVIIIe siècle, Carnegie Museum of Art.
La découverte du Laocoon.
En février 1506, à Rome, sur la colline de l'Esquilin, des ouvriers creusent le sol dans un vignoble appartenant à un certain Felice De Fredis. Les travaux, peut-être les fondations d'une maison pour le vigneron, se trouvent tout près des ruines de la Maison dorée (Domus aurea) construite par Néron après l'incendie de Rome et occupée après sa mort par l’empereur Titus. A environ trois ou quatres mètres de profondeur, surgit une monumentale sculpture de marbre de 2,40 m de hauteur par 1,60 m de largeur.
La découverte du Laocoon par Hubert Robert, 1773, Virginia Museum of Art.
Le pape Jules II dépêche aussitôt sur place son architecte Giuliano da Sangallo ainsi que le sculpteur Michel-Ange. Les deux artistes, familiers de la culture antique, reconnaissent le groupe du Laocoon3 cité par Pline l’Ancien dans son Histoire Naturelle. Pline écrit que ce chef-d'œuvre a été exécuté par trois sculpteurs originaires de l'île de Rhodes, Agesander, Polydore et Athenodore et qu'il se trouvait dans le palais de l'empereur Titus Flavius Vespasianus.
Le Pape acquiert l'œuvre et l'installe dans la cour de l'Octogone du palais du Belvédère au Vatican. Elle y restera jusqu'en 1798, date à laquelle Napoléon Bonaparte confisque une sélction d'œuvres d'art appartenant aux États pontificaux suite aux victoires des armées françaises4. Le groupe du Laocoon regagne le Vatican en janvier 1816. Dès sa découverte, l’œuvre connut une immense célébrité et a été représenté dans d’innombrables peintures, dessins, statuettes en marbre, bronze et porcelaine, bijoux et autres objets d’art. Une copie en bronze se trouve dans la salle des Pas Perdus de l'Assemblée nationale, d'après une fonte de Jean-Balthazar Keller pour Louis XIV en 1687.
Dessin de Marco Dente, c. 1520.
Au moment de la découverte de la sculpture, le bras droit de Laocoon et celui de son fils cadet manquaient, de même que la main droite du fils aîné. Au XVIe siècle, il était d'usage de compléter les parties manquantes d'une œuvre antique fragmentaire. Le bras manquant du prêtre Laocoon fut remplacé en 1532 par un nouveau bras tendu en diagonale, accentuant le côté dramatique de la sculpture. Le bras et la main manquants des fils du prêtre furent ajoutés en 1725 par le sculpteur Agostino Cornacchini.
Le groupe du Laocoon avec les ajouts du XVIe et XVIIIe siècle,
photographie de James Anderson, circa 1845, Getty Museum.
En 1905, une découverte inattendue modifia l'apparence de l’œuvre. Un archéologue et marchand d'art tchèque, Ludwig Pollak5 trouva dans les stock de marbre d'un atelier de tailleur de pierre, non loin du lieu où l'œuvre fut sorti de terre, un fragment de bras droit plié autour duquel était enroulé un serpent. Ludwig Pollak le reconnu comme appartenant au groupe du Laocoon et en fit don au Vatican qui le conserva dans ses réserves. Ce n'est qu'en 1957 que l'on considéra ce bras comme original et il fut remis en place, le bras du fils cadet et la main du fils aîné furent retirés.
Le groupe du Laocoon tel qu'il est présenté depuis 1957.
Musée Pio-Clementino, au Vatican.
Les experts restent divisés quant à la datation du groupe de Laocoon, certains plaident pour une origine romaine du Ier siècle ap. J.-C. tandis que d'autres historiens (la majorité) y voient une copie en marbre du début du Ier siècle av. J.-C. d'un bronze de la période baroque hellénistique (IIe siècle av. J.-C.).
Domenico de Rossi, 1704.
Les bronzes du Primatice.
François Ier, grand amateur d'art italien et d'antiquité gréco-romaine, souhaitait décorer les nouveaux bâtiments et jardins du château de Fontainebleau de repliques d'œuvres d'art célèbres. Le roi demanda à son peintre et décorateur italien Francesco Primaticcio, dit le Primatice, qui travaillait alors au château depuis 1532, de se rendre à Rome afin d'y acheter diverses « anticailles exquises ».
Hans Brosamer, 1538.
En 1515, François Ier avait demandé au Pape Jules II de lui offrir le fameux groupe du Laocoon, ce qui lui avait été refusé. Le roi renouvela sa demande en 1520, mais cette fois-ci il demanda une copie de l'œuvre. Pour contenter le roi de France, le pape Clément VII commanda au sculpteur Baccio Bandinelli une copie en marbre. Trouvant l'ouvre de Bandinelli magnifique, le pape décida de la garder pour lui et l'installa dans le palais des Médicis à Florence. La copie de Bandinelli est aujourd'hui dans le palais florentin de la Galerie des Offices.
Le Laocoon de Baccio Bandinelli, Galerie des Offices, Florence.
Primatice partit pour Rome en février 1540, sur place il fit faire des moules en plâtres (appelés des « creux ») de plusieurs statues antiques dont le groupe du Laocoon6. Les moules voyagèrent de Rome à Fontainebleau dans une centaine de caisses en bois montés sur des chariots. Ce long transport fit souffrir les plâtres qui durent être en partie réparés une fois arrivés à destination, du coup les fontes ne sont pas exactement identiques aux originaux romains. Fin 1543, les fontes furent achevées dans une dépendance du château.
De gauche à droite : L'Apollon du Belvédère, Commode en Hercule, Vénus de Cnide.
Bronzes du Primatice, Galerie des Cerfs, Château de Fontainebleau.
Jusqu'à la Révolution, on pouvait admirer ces bronzes dans les jardins du château et dans des niches de l'aile neuve ou de la Belle-Cheminée construite par Primatice en 1565. Le Père Dan, dans son fameux « Trésor des Merveilles » publié en 1642, écrit que la statue du Laocoon était installé dans le jardin de la Reine ou jardin de Diane. En 1792, une partie des statues furent envoyées au Louvre, d'autres furent hélas fondus. Lors de la restauration de la façade de l'aile de la Belle-Cheminée en 1924, on commanda des surmoulages en bronze des fontes du Primatice pour les replacer dans les niches, ce qui fut fait en 1931. Les bronzes du Primatice sont revenus à Fontainebleau en 1969 pour y être exposés dans la Galerie des Cerfs.
Ariane endormie, Bronze du Primatice, Galerie des Cerfs, Château de Fontainebleau.
Notes :
(1) D'après un texte de la bibliothèque d'Apollodore, c'est Apollon qui envoya les deux serpents car Laocoon avait gravement insulté la divinité en couchant avec sa femme dans le temple dont il avait la garde. Homère n'évoque pas l'histoire de Laocoon dans L'Illiade, mais celle-ci avait fait l'objet d'une tragédie de Sophocle, qui a été perdue.
(2) Le poète grec Lycophron, qui place la scène de l’attaque des serpents dans le temple d’Apollon, donne à ceux-ci les noms de Charibée et Porcé, d’autres auteurs leur donnent les noms de Curissis et Péribée.
(3) Le mot Groupe indique qu'il y a plusieurs figures ou personnages faisant partie de l'œuvre, le prêtre Laocoon et ses deux fils, Éthron et Mélanthos. L'œuvre est constituée de huit blocs de marbre reliés par des tiges de fer.
(4) Traité de Tolentino.
(5) Ludwig Pollak est né à Prague en 1868. En 1904 il est nommé conservateur honoraire du musée romain nouvellement construit à la place de l'ancien Museo Barracco. En 1943, il est arrêté à Rome avec toute sa famille et déporté à Auschwitz où il est assassiné.
Ludwig Pollak 1868-1943
(6) Parmi les moules que Primatice ramena de Rome, se trouvait l'Ariane endormie, l'Apollon du Belvédère, l'Aphrodite de Cnide, Commode en Hercule, le Tibre, deux Sphinges, deux Satyres, divers reliefs de la colonne Trajane, la Pietà de Michel-Ange, le Marc-Aurèle à cheval et le groupe du Laocoon.
Le Laocoon à travers les Arts.
Laocoon, Alessandro Allori, 1550.
William Blake, 1826.
Laocoon, Jean De Gourmont, 1483-1551.
Caricature du Laocoon, attribuée à Nicolò Boldrini, c.1540, The MET.
Laoccon, Le Greco, c. 1610, National Gallery of Art, Washington DC.
Laocoon, Francesco Hayez, 1812, Pinacoteca di Brera, Milan.
Alexander Calder, Laocoon, 1947, The Broad Collection, Los Angeles.
Le retour du Laocoon à Fontainebleau en 1969.
Réunion des Musées Nationaux - Château de Fontainebleau.
Laocoon, Alessandro Allori, 1550.
William Blake, 1826.
Laocoon, Jean De Gourmont, 1483-1551.
Caricature du Laocoon, attribuée à Nicolò Boldrini, c.1540, The MET.
Laoccon, Le Greco, c. 1610, National Gallery of Art, Washington DC.
Laocoon, Francesco Hayez, 1812, Pinacoteca di Brera, Milan.
Alexander Calder, Laocoon, 1947, The Broad Collection, Los Angeles.
Le retour du Laocoon à Fontainebleau en 1969.
Réunion des Musées Nationaux - Château de Fontainebleau.