La fontaine du Mont Chauvet

Située dans la réserve biologique intégrale du Mont Chauvet, parcelle 253, près de la route Tournante des Hauteurs de la Solle, cette fontaine ne fut pas inventée par Denecourt. En mars 1889, le plafond s’étant écroulé, Charles Colinet fut obligé de démolir l’ancienne construction de grès qui entourait le bassin et fit reconstruire un cadre en grèserie. Sur le fronton, il fit graver deux dates : 1624 – 1889. La première date est l’année où la fontaine est citée dans des actes, la seconde, l’année de sa reconstruction qui coûta la somme de 313 francs. Colinet regrette d’avoir dû abattre le vieux chêne dont la ramure protégeait la fontaine et qui fut souvent reproduit par les peintre paysagiste.

Sur la carte dressée en 1809 par le corps des ingénieurs-géographes, la fontaine est indiquée avec son ruisseau qui va se perdre dans la vallée de la Solle. Il est probable que ce sont les carriers qui ont construit cette fontaine au XVIIe siècle. Le travail d’exploitation des bancs de grès était extrêmement pénible, les ouvriers avaient besoin d’eau. Le père Pierre Dan, dans son fameux livre sur l’histoire du château, publié en 1642, écrit : « Le Mont Chauvet, d'où l'on atiré la pluspart de la gresserie de laquelle sont faits plusieurs beaux ouvrages de cette maison royale, à cause que le grez en est si beau qu'il prend presque le poly comme le marbre. » Cette fontaine est en réalité un puits peu profond, alimenté par les eaux de pluie formant une nappe rendue imperméable grâce aux calcaires marneux des bords du Mont Chauvet.

En 1804, Etienne Pivert de Sénancour publie son roman Oberman dans lequel il magnifie la forêt de Fontainebleau. Au grès de ses longues pérégrinations forestières, Sénancour passe par la fontaine du Mont Chauvet : « Je tournai vers le couchant et je cherchai la fontaine du Mont-Chauvet. On a pratiqué avec les grès dont tout cet endroit est couvert, un abri qui protège la source contre le soleil et l’éboulement des sables, ainsi qu’un banc circulaire, où l’on vient déjeuner en puisant son eau. L’on y rencontre quelquefois des chasseurs, des promeneurs, des ouvriers ; mais quelquefois aussi une triste société de valets de Paris et de marchands du quartier Saint-Martin ou de la rue Saint-Jacques, retirés dans une ville où le roi fait des voyages. Ils sont attirés de ce côté par l’eau, qu’il est commode de trouver quand on veut manger entre voisins un pâté froid, et par un certain grès creusé naturellement, qu’on rencontre sur le chemin et qu’ils s’amusent beaucoup à voir. »



En 1840 est publié à titre posthume, Fontainebleau, études pittoresques et historiques par le peintre Antoine-Laurent Castellan, mort deux ans plus tôt. Castellan nous parle de la fontaine du Mont Chauvet : « La plus connue des sources qui fournissent une eau rare et précieuse à la forêt, est renfermée dans une grossière construction presque ruinée et abritée par un beau chêne. C’est un lieu de réunion pour les peintres qui trouvent en effet des études de tout genre, et même des tableaux tout composés dans le mouvement et le désordre sauvage des terrains et des rochers, la variété d’espèces et de formes d’arbres et la multiplicité des plans lointains. L’un des rochers, en forme de table, est souvent entouré de maintes sociétés joyeuses, et alors, la nymphe de la fontaine ne rend guère d’autre service que de recevoir dans l’onde glaciale les flacons de vins généreux qu’on y met rafraîchir. » 

Gravure de Castellan, la fontaine en 1820 et de nos jours.

En 1851, le poète et menuisier Alexis Durand publie son Indicateur de quatre promenades historiques et pittoresques dans la forêt de Fontainebleau. L’ancien grognard de la grande armée, farouche opposant aux sentiers inventés par Denecourt, nous raconte qu’il conduisit l’illustre écrivain François-René vicomte de Chateaubriand, pour une promenade en forêt, c’était en 1825. Ils se rendirent à la fontaine du Mont Chauvet et de son vieux chêne, le Saint-Louis, « L’écrivain s’appuya tout rêveur contre ce bel arbre, en murmurant ces quelques vers : Forêt silencieuse aimable solitude, que j’aime à parcourir votre ombrage ignoré. Le poète fit une pause et je lui dis "En 1809, Napoléon s’est aussi appuyé contre ce chêne, à la place même où vous êtes". À ces mots, le chantre d’Attala se retourna aussi brusquement que si l’arbre eût été en feu …  il le toisa de la tête au pied, en me faisant répéter avec détails cette circonstance. »


En 1853, Claude-François Denecourt publie la 8e édition de son fameux guide, il écrit : « Vous voici au pied du vieux chêne protecteur de la modeste fontaine du Mont-Chauvet, fontaine d'autant plus précieuse qu'il n'en existe que quelques-unes dans toute la forêt, deux dans la promenade que vous parcourez et deux dans la promenade du fort de l'Empereur c'est-à-dire la fontaine Sanguinede, la fontaine du Mont-Chauvet, la fontaine Dorly et la fontaine Désirée. Quant à celle de la Madeleine et celles de Saint-Aubin et d'Épisy, ainsi que le puits de Franchard, il ne faut pas en tenir compte puisque la jouissance n'en est pas publique. Je ne comprends pas que l'on rencontre si peu de fontaines dans cette vaste et belle forêt de Fontainebleau, quand il est si facile d'en établir. Outre les deux qu'avec le généreux concours de MM. Sanguinede et Dorly, j'ai fait construire, je pourrais en créer bien d'autres si la ville, qui est des plus intéressée à la chose, m'en fournissait quelque peu les moyens, moyens qui consisteraient à mettre pendant quelques années un ouvrier carrier à ma disposition. Oui, je pourrais à l'aide de ce concours faire jaillir des fontaines dans toutes nos charmantes promenades. Donc, cher lecteur, vous saurez que si l'eau manque dans la plupart de nos sites pittoresques, ce n'est assurément pas de ma faute. »




Près de la fontaine du Mont-Chauvet, se trouvait du temps de Denecourt, une vieille marchande, « la femme Noël ». Elle était autorisée à tenir boutique en forêt où elle vendait des bibelots en bois de genévrier et quelques rafraichissement. Le verre de sirop de groseille était à 25 centimes. La mère Noël faisait visiter les curiosités des alentours dont la roche qui remue, située juste à côté de la fontaine.



La fontaine avant sa restauration par Charles Colinet en 1889.